Jawaharlal Nehru
La dynastie a été fondée par Jawaharlal Nehru (1889-1964), le premier chef de gouvernement de l’Inde indépendante. Issu de la caste Saraswat, l’une des plus aristocratiques du sous-continent, ce brahmane à la peau blanche reçoit une éducation de jeune lord en Grande-Bretagne : la public school de Harrow et Trinity College à Cambridge. A son retour en Inde, il épouse une autre Nehru, Kamala, qui appartient à la branche cachemirie de la caste.
La politique semble être la seule activité à la hauteur d’un tel pedigree. Jawaharlal adhère au Congrès, dont son père Motilal est l’un des principaux
dirigeants et même, à certains moments, le président : le parti qui, réorganisé sous l’influence du mahatma Gandhi, milite pour l’autonomie de l’Inde au sein de l’Empire britannique. Il se
rapproche bientôt de l’aile la plus radicale de cette formation : celle que dirige Subhas Chandra Bose. But : l’indépendance pure et simple. Mais aussi une révolution sociale. Bose est un
admirateur de l’Allemagne hitlérienne et du Japon. Nehru penche plutôt pour un régime social-démocrate, comme la gauche britannique de l’époque. Secrétaire général du Congrès en 1926, il en
devient à son tour le président dix ans plus tard. Si le mahatma est le " chef spirituel " du mouvement national indien, il en est le " chef temporel
".
En 1935, la
Grande-Bretagne offre à l’Inde une autonomie interne qui semble être le prélude à un statut de dominion analogue à celui du Canada ou de l’Australie. Mais la plupart des dirigeants du Congrès
jugent que c’est " trop peu et trop tard ". En 1942, les dirigeants du Congrès lancent une campagne pour le départ immédiat des Britanniques. Nehru n’est pas enthousiaste : cette
initiative tient de la provocation, alors que la Grande-Bretagne est engagée dans une lutte à mort avec l’Allemagne nazie, et au moment où les Japonais ont envahi la Birmanie, aux portes mêmes de
l’Inde. Pour autant, il ne peut se désolidariser de ses amis. Cela lui vaut un long internement. Une fois la guerre terminée, le premier ministre britannique Clement Atlee, un travailliste,
se résout à accorder une indépendance sans restriction. Gandhi et Nehru sont considérés, dans ce contexte, comme les représentants légitimes de la majorité hindoue et des minorités plus ou moins
apparentées, comme les sikhs. Tandis que les musulmans, qui réclament un Etat séparé, se donnent pour leader Ali Jinnah, un patricien élégant formé, lui aussi, en Grande-Bretagne.
En 1947, Atlee charge un ultime vice-roi, Lord Mountbatten, d’organiser l’indépendance. Cet aristocrate d’origine allemande, lié à la famille royale, a été un des héros de la Seconde Guerre
mondiale en Asie. Ami de Churchill, il n’en affiche pas moins des idées de gauche, tout comme sa femme Edwina. Dès qu’il s’installe à New Delhi, il s’entiche du chef du Congrès. Difficile de
démêler ses motivations exactes. Admiration pour les manières exquises de Nehru, son humour au second degré ? Snobisme ? Affinités politiques ? Fantasmes érotiques ? Edwina devient
très vite la maîtresse du brahmane vieillissant (veuf depuis 1936), et le vice-roi semble s’amuser de cette situation…
En tout cas, Nehru est en position de force, dans les dernières semaines qui précèdent l’indépendance, pour négocier des conditions de plus en plus favorables à l’Etat hindou. Le 15 août
1947, l’Empire des Indes se scinde en deux dominions : l’Inde à majorité hindoue, au centre, et le Pakistan à majorité musulmane, bizarrement formé de deux entités situées respectivement à
l’ouest de l’ancien Empire, le long de l’Indus, et à l’est, dans le delta du Bengale. Des millions d’êtres humains passent les nouvelles frontières dans les deux sens. Il y a des pillages, des
massacres. Gandhi est assassiné.
Le régime du dominion n’est qu’un intermède. Dès 1950, l’Inde se constitue en République fédérale démocratique. En fait, Nehru, devenu premier ministre, a succédé au vice-roi, qui n’était lui-même que l’héritier des empereurs mogols : un pouvoir " de droit divin " que
personne ne pense à contester. Et qui semble le seul approprié à un pays-continent : trois millions de kilomètres carrés, 350 millions d’habitants, une demi-douzaine de races, un millier de
langues et de dialectes, une vingtaine de " langues principales ", une demi-douzaine de religions, l’atomisation à l’infini de la société à travers le système des castes… Une démocratie
à l’occidentale, une dictature militaire, comme celle qui s’installe au Pakistan dès la disparition de Jinnah, ou un régime de parti unique, analogue à celui que Mao instaure en Chine, n’auraient
tout simplement pas trouvé d’assise dans un tel cadre.
Nehru habite
Teen Murti House, la Maison aux Trois Statues : l’ancien palais du commandant en chef britannique, au cœur de la New-Delhi néoclassique dessinée en 1913 par Edwin Lutyens. C’est une immense
demeure en pierre ocre et rouge. Les pièces y sont décorées de tableaux militaires que l’on expédie bientôt sous les combles. Habillé d’une stricte tunique blanche et d’un petit calot de la
même couleur, honoré du titre de " pandit " (docteur de la tradition hindoue), le premier ministre travaille derrière un long bureau de bois rouge, orné d’une seule rose. Sa fille
Indira, en sari, lui tient lieu de secrétaire, d’infirmière, de confidente. Au point de négliger son mari Feroze Gandhi (sans lien de famille avec le mahatma), un riche commerçant parsi de
Lucknow. Les enfants, Rajiv, né en 1944, et Sanjay, né en 1946, viennent vivre auprès d’elle – et de leur grand-père. Feroze effectue des visites fréquentes, mais ne se résout pas à
s’installer également à Teen Murti House. Finalement, il se fait élire député, ce qui lui permet de résider dans la capitale sans perdre la face. Mais il habite dans un petit bungalow à prix
modéré, mis par l’Etat à la disposition des parlementaires…
A SUIVRE